Dans les années 1946-47, les Perls partent pour New York où ils s'installent comme psychanalystes jusqu'en 1950. Même si A. Brill (1874-1948), président fondateur de la New York Psychoanalytic Society (NYPS), donna son accord pour l'immigration de F. Perls, celui-ci est très mal accueilli par le milieu "officiel" des psychanalystes New Yorkais de tendance freudienne ; ils n'apprécient pas ses idées, ni ses comportements.
Heureusement, il reçoit le soutien actif de psychanalystes dissidents du freudisme : son ancienne analyste Karen Horney qui, mise au ban du NYPS, avait créé l'Association for the Advancement of Psychoanalysis (AAP), l'aida à immigrer ; Erich Fromm (1900-1980) qui apprécie son livre ; et Clara Thompson (1893-1958, hongroise d'origine, analysée par S. Ferenczi). Ceux-ci l'aident à développer une clientèle.
Les Perls changent leurs prénoms : Friedrich se transforme en Frederick avant de devenir "Fritz" par la suite ; Lore devient Laura. Ils fréquentent les milieux intellectuels marginaux : anarchistes, libertaires, pacifistes, écrivains, artistes de théâtre (Living Theater), …
Le couple Perls rencontre régulièrement un certain nombre de personnes qui furent appelées le "groupe des Sept" : Isadore From (1919-1994), étudiant en philosophie centré sur la phénoménologie (analysé par F. puis par L. Perls) ; Paul Weisz, médecin et psychothérapeute reconnu, (analysé par F. puis par L. Perls) ; Elliott Shapiro, directeur d'une école pour enfants difficiles (thérapie avec L. Perls) ; Sylvester Eastman, médecin ; Paul Goodman, "homme de lettres" et figure de l'anarchisme nord-américain (analysé par A. Lowen et L. Perls). Ce groupe participe à la mise en forme de la théorie gestaltiste et de son enseignement.

C'est avec Paul Goodman, considéré comme le penseur du groupe connaissant bien les courants psychanalytiques (S. Freud, Otto Rank, W. Reich) et la phénoménologie, que Frederick Perls décide d'écrire "Gestalt-therapy, Excitement and Growth in The Human" (1951, 2 tomes), le livre dans lequel les principaux concepts de la Gestalt-thérapie sont développés. Paul Goodman réécrit en nord-américain la partie théorique (second tome) à partir d'un manuscrit de F. Perls, ramené d'Afrique du Sud ; "Rédacteur" rémunéré pour ce travail mais avec des idées s'accordant avec celles de F. Perls, il aurait "étoffé" le manuscrit d'origine en y incluant ses propres pensées, réflexions et même concepts (théorie du self). Tout comme pour
le premier ouvrage, Laura Perls y participe activement. Ralph E. Hefferline, professeur d'université à Columbia, écrit le premier tome à partir d'expériences pratiques faites avec ses étudiants sur la "thérapie de la concentration". N'appartenant pas au groupe des sept, il est invité à participer à cet ouvrage afin de lui donner une caution universitaire, une crédibilité que les auteurs, étant donné leur personnalité, ne peuvent pas lui assurer.
Paul Goodman (1911-1972), est né à New York (9 septembre 1911) dans une famille que le père (en faillite) abandonne lorsque Paul est bébé. Il est élevé dans l'ambiance d'une communauté intellectuelle et artistique juive (Greenwich Village), par sa mère ("bohémienne bourgeoise"), des tantes et sa sœur Alice (de 10 ans son aînée) qui le surveillent peu. Livré à lui-même, cet enfant curieux et livresque, erre dans les rues, les parcs, les musées et bibliothèques de New York, s'instruisant librement de tout ce qu'il rencontre, découvre. Son frère Perceval quitte tôt la famille.
Il commence des études en littérature et philosophie, et obtient sa licence en 1931 et un doctorat à l'université de Chicago où il enseigne avant d'en être remercié en 1940. Ecrivant beaucoup mais vendant peu, P. Goodman vit très modestement avec son épouse et ses enfants, de petits travaux littéraires, de rédaction d'articles et de leçons. Suite à sa rencontre avec les Perls, sa participation à "Gestalt-therapy", au fonctionnement des instituts de formation et sa pratique de psychothérapeute (jusqu'en 1960), ses revenus deviennent plus décents, en rapport avec ses compétences.
Universitaire ayant une bonne culture philosophique et sociologique, critique littéraire, écrivain accompli (romancier, poète, auteur dramatique engagé, essayiste : société, éducation), et psychothérapeute, c'est un militant anarchiste et libertaire, individualiste et pacifiste qui refuse tout esprit de système et fait le choix systématique de l'action non-violente. Il s'engage dans la contre-culture politique dès les années trente, rejette l'éducation qui brime la créativité des enfants, critique toutes les structures politiques aussi bien étatiques que révolutionnaires, lutte contre le fascisme et la guerre du Vietnam, combat pour la liberté sexuelle (bisexualité), prône une vie harmonieuse, ici et maintenant, dans la bienveillance et la non-violence.
Avec le succès de son livre "Growning Up Absud" paru en 1960, il obtient reconnaissance et renommée. Dans le milieu des années 60, le mouvement contestataire de la jeunesse étudiante l'adopte avec ses idées ; il est constamment invité sur les campus.
Laura Posner-Perls a affirmé que c'est P. Goodman qui donna une charpente théorique à la Gestalt-thérapie en ayant su articuler et transcrire les différentes idées, intuitions de F. Perls sous la forme d'une théorie cohérente. C'est ainsi que de rédacteur, il est devenu co-auteur.
Au début de 1952, le couple Perls avec quelques autres dont Paul Goodman, Paul Weisz, Isadore From et Eliott Shapiro (lequel mit en place la première formation en Gestalt-thérapie destinée à des éducateurs), créent le premier institut de Gestalt-thérapie : Gestalt Institute of New York. F. Perls a 59 ans. En 1953, ils ouvrent celui de Cleveland (Ohio) où sont formés Joseph Zinker, Erving et Miriam Polster avant d'y enseigner eux-mêmes.
F. Perls voyage beaucoup, participe à de nombreux séminaires pour faire connaître et expliquer cette nouvelle méthode à des médecins et psychologues entre autres mais les retombées sont bien loin de ses espérances de succès, gloire et reconnaissance. Déprimé, malade, critiqué par les co-fondateurs de la Gestalt-thérapie, il abandonne progressivement la direction des instituts et l'enseignement à Laura Perls, P. Goodman,
P. Weisz et Isadore From qui intervient et interviendra durant plusieurs années à l'Institut de Cleveland.
F. Perls (63 ans) se retire en Floride (une forme de retraite) en cette année 1956 qui marque la consommation de la séparation entre lui et les autres fondateurs de la Gestalt-thérapie, dont son épouse, confirmant ainsi les divergences nées entre eux ; lesquelles iront en s'accentuant.
Vers 1959, F. Perls (66 ans) se remet à voyager aux E.-U. et à travers le monde (Japon, Israël, Europe) avant de s'installer en Californie à Big Sur au lieu-dit Esalen, où il réside de 1964 à 1968. Dans ce centre qui va devenir le creuset du "Mouvement du Potentiel Humain", il y anime des séminaires expérientiels et didactiques, et propose un programme de formation qui finissent par le rendre célèbre à partir de 1968. Il a 75 ans. Considéré comme innovateur, il influença de nombreux chercheurs (psychiatres, psychologues, psychothérapeutes, sociologues, …) tout particulièrement du courant humaniste.
En 1969, F. Perls quitte Esalen pour fonder une communauté thérapeutique et didactique sur les bords du lac de Cowichan à coté de Vancouver (Canada) dans laquelle il ne séjourna que quelques mois.
Fritz Perls décède à 77 ans, le 14 mars 1970 à Chicago, à son retour d'un dernier voyage en Europe qui l'a épuisé étant donné son état de santé déficient. Ses cendres sont déposés dans le caveau de la famille Posner à Pforzheim (Allemagne).
Lors de l'évolution de la Gestalt-thérapie aux États-unis, du vivant de F. Perls, deux courants se sont progressivement dessinés avec la participation active du fondateur. Celui-ci, avec Jim Simkin (Los Angeles), l'un de ses premiers élèves, incarne le courant dit de la côte Ouest (Californie : Esalen, San Francisco, Los Angeles,). Laura Perls, Paul Goodman et Isadore From représentent celui dit de la côte Est (New York).
Les divergences vont au point que lors de l'inhumation de F. Perls, P. Goodman transforme "l'éloge" funèbre en une sévère critique contre celui qui, selon lui, a trahi la Gestalt-thérapie, amenant les partisans de F. Perls à organiser une autre cérémonie.
Par la suite, se dessine le "modèle de Cleveland" émanant de l'institut de Cleveland qui enseigna beaucoup de formateurs reconnus, en particulier en France. Bien qu'originellement ancré dans le courant de la côte Est, mêmes fondateurs et formateurs pendant de nombreuses années, il n'est pas resté dans la ligne de celui de New York, ajoutant aux pratiques habituelles de la Gestalt-thérapie (individuel, groupe), son utilisation pour les couples, familles et organisations. Il a un statut un peu d'entre deux, avec comme représentants majeurs : Erving & Miriam Polster et Joseph Zinker.
Paul Goodman décède peu avant ses 61 ans, le 2 août 1972 à North Stratford (E.-U.). Après la mort accidentelle de son fils Mathew en 1967, sa santé s'était détériorée. Autour de 1960, il ne s'occupa plus des Instituts de Gestalt-thérapie, ni n'exerça en tant que psychothérapeute.
C'est dans les années 70, que la Gestalt-thérapie, portée par le mouvement de contre-culture, connut ses heures de gloire en Californie. Grâce aux premiers collaborateurs qui reprennent le flambeau et à leurs successeurs, elle se répand très rapidement dans toute l'Amérique du nord (États-unis, Canada) et, dans la foulée, essaime outre-atlantique.
Laura Perls décède peu avant ses 85 ans, le 13 juillet 1990 à Pforzheim (Allemagne). Son urne funéraire repose avec celle de son mari.